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Par Angelo0071 le 24 Août 2008 à 02:07
Regarder en face le passé eugénique de lAmérique du Nord et de lEurope est crucial pour éclairer le débat actuel.
Hilary Rose, professeur de médecine au Collège Gresham de Londres. Auteur de Love, Power and Knowledge: Towards a Feminist Transformation of the Sciences (Cambridge Polity, 1994).
Pendant près dun demi-siècle, on a assimilé leugénisme (littéralement: science de l«amélioration» du fonds génétique) aux horreurs nazies. Bien que des généticiens allemands comme Benno Muller Hill ait révélé la complicité de la communauté scientifique avec les nazis, on a longtemps évité de scruter systématiquement les politiques eugéniques dautres pays.
Des historiens ont récemment comblé ce vide et donné une image claire du soutien politique et culturel à leugénisme, du début du xxe siècle aux années 70, en Amérique du Nord et dans de nombreux pays européens. Barons de lindustrie et élites gouvernementales navaient guère de sympathie pour les milieux sociaux défavorisés que visaient les mesures eugéniques. Plus surprenant est lintérêt considérable que leugénisme a aussi éveillé chez des réformateurs sociaux, des intellectuels de gauche ou des féministes, persuadés que la science devait aider lEtat à développer une population génétiquement «apte». Certains préconisaient un eugénisme négatif cherchant à limiter les naissances d«inaptes»; dautres un eugénisme positif encourageant les «aptes» à faire davantage denfants.
Stérilisations des «faibles desprit»
Quand les horreurs nazies furent connues, de nombreux pays prirent soin déviter lusage du mot «eugénisme», tout en continuant à le pratiquer. Ces «politiques démographiques» prévoyaient essentiellement la stérilisation forcée des femmes «faibles desprit». Le racisme aidant, les Afro-Américaines sont lourdement sur-représentées parmi les quelque 60 000 stérilisées de force, entre 1907 et 1960, dans plusieurs Etats américains. En Scandinavie, hommes dEtat et généticiens mirent en uvre des politiques de stérilisation forcée parce quils craignaient que lEtat-providence en gestation incite les «inaptes» à se reproduire. De 1934 à 1975, 63 000 personnes, dont 90% de femmes, ont été stérilisées dautorité en Suède, et 48 000 en Norvège, bien moins peuplée. Les généticiens et hommes politiques britanniques et néerlandais, en revanche, ont recouru à des «programmes volontaires», tout en marginalisant les «faibles desprit».
Le silence qui entourait ces pénibles chapitres de lhistoire na rien détonnant. Dans tout pays, il faut un courage obstiné pour déterrer les horreurs du passé. En Suède, la presse a révélé dans les années 70 leugénisme du passé, soulevant lindignation de lopinion, mais le gouvernement a attendu 1996 pour indemniser les femmes qui en ont été victimes.
Lactuel regain dintérêt pour le passé est en partie dû au projet Génome humain. Depuis sa conception en 1985, de grands chercheurs comme James Watson, codécouvreur de la structure de lADN, ont éprouvé le besoin de rendre public ce sinistre passé, pour que lombre du vieil eugénisme dEtat nentrave pas la mise en uvre de ce projet. Ils ont consacré une partie de leur budget de recherche de trois milliards de dollars à étudier non seulement le passé, mais aussi les dimensions sociales, juridiques et éthiques des recherches en cours. Car de nouvelles formes deugénisme peuvent surgir des progrès de la génétique. Beaucoup de scientifiques en sont tout à fait conscients.
Aujourdhui, les généticiens prennent grand soin, en général, déviter tout lien avec leugénisme dEtat en adoptant une nouvelle stratégie à deux visages: aux patients les parents en puissance , ils laissent, après explication, le choix des tests; à lEtat, ils promettent quil y aura moins denfants handicapés. Mais, tandis quun nombre croissant de ftus sont scrutés sous tous les angles, beaucoup, au sein des mouvements de handicapés, soulignent que ces «tests» visent à débusquer l«anormal». Une «traque» qui rétrécit sans cesse lidée même que nous nous faisons du «normal» et qui, disent ces militants, va aggraver le rejet de tous les handicapés.
Des membres de ces organisations ne sont pas loin de rejeter radicalement tout examen génétique, afin dempêcher les femmes davorter les ftus dits «anormaux». Cette position inquiète beaucoup le mouvement mondial des femmes en lutte pour le droit à lavortement. Le mouvement des handicapés pourrait effectivement apparaître comme un allié «objectif» des organisations anti-avortement.
En premier lieu, il est essentiel de noter quen dépit de la prolifération des tests tous brevetés et lucratifs , la génétique na pas réussi à ce jour à tenir ses promesses en matière de thérapie génique. Les médecins sont toujours confrontés à des maladies quils ne savent pas soigner. Souvent, ils présentent lavortement comme un traitement. Puisque toute bonne future mère acceptera sans doute de subir tous les examens quelle pourra soffrir ou se faire payer par lEtat, beaucoup dexperts en bioéthique, de féministes et de membres des mouvements de défense des handicapés estiment que la multiplication des tests aboutira à un «eugénisme consumériste»: sous prétexte doffrir une plus grande liberté de choix, il incitera en fait à sélectionner les «génétiquement corrects».
La question clef, pour quune décision soit vraiment libre, est: à qui profite le test? Aux individus ou aux sociétés qui le vendent? Pour la plupart des femmes pas toutes , un examen prénatal pouvant révéler sans risque derreur une redoutable maladie génétique accroît, certes douloureusement, la liberté de choix éthique. Mais que dire dune possible abondance de tests pour des troubles génétiques relativement mineurs, comme la surdité ou la petite taille?
La multiplication des tests pose un autre grand problème éthique: en concentrant nos efforts sur les faiblesses génétiques, nous risquons de négliger les facteurs sociaux comme la pauvreté. Le sociologue américain Troy Duster souligne que le moyen le plus efficace de faire naître davantage de bébés sains est daider les femmes des milieux défavorisés à manger convenablement pendant leur grossesse. En Californie, linsuffisance pondérale à la naissance afflige de problèmes de santé graves et souvent mortels davantage de nourrissons que les maladies génétiques. La décision de cet Etat dinvestir dans les tests de lADN et non dans la lutte contre la pauvreté revient donc, estime Troy Duster, à ouvrir discrètement la porte à leugénisme: les Afro-Américaines sont massivement sur-représentées parmi les pauvres.
Comment mieux gérer la biotechnologie? Nous pourrions dabord lancer un débat sérieux sur les potentialités et les limites des tests génétiques. Lopinion a besoin dinformations fiables, afin de participer à la conception dune réglementation efficace et humaine. Les gros titres annonçant «des bébés sur mesure», pour lesquels des parents fantasques choisiraient davance la taille, lapparence physique et le niveau dintelligence, ne nous aident pas beaucoup à résoudre les épineux problèmes éthiques qui se profilent. Commençons plutôt par apprendre des deux pays où, sur ces questions, la population fait le plus confiance à lEtat: le Danemark et les Pays-Bas. Ils ont fait plus que partout ailleurs pour gérer les biotechnologies le plus démocratiquement possible.
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