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    Aux origines de l’eugénisme...

    François-Xavier Ajavon
    Doctorant en philosophie, université Paris XII-Créteil
     
     
     

    L’eugénisme est une théorie, et une pratique, visant à améliorer les caractères héréditaires de l’humanité, par une sélection des meilleurs reproducteurs, par la discrimination des plus faibles, ou même par l’exécution de nouveaux-nés malformés. Mais quelle origine donner à ces thématiques ?

     

    La logique eugénique d’amélioration de l’humain repose certainement sur une immémoriale tendance de domestication du vivant et donc de domination de l’homme sur son environnement. Une multitude de textes antiques, relatifs à l’amélioration des races de chevaux ou de chiens, existent chez Homère, Platon ou encore chez Varon et Sénèque. La majorité des discours eugéniques sont introduits par une analogie entre la domestication des troupeaux animaux et le biocontrôle des humains par les politiques et les médecins. En effet, les auteurs, de Platon à Galton, et jusqu’au XXe siècle, se demandent pourquoi nous appliquons nos connaissances sur l’hérédité aux bêtes et non aux hommes eux-mêmes.

    On trouve ça et là certaines traces de doctrines eugéniques dans des œuvres poétiques grecques : par exemple, le poète Théognis de Mégare , au VIIe siècle avant JC n’hésitait pas à blâmer les mœurs libérales de la démocratie en ces termes : « l’argent abâtardit la race »... entendons, les mariages d’argent ne tiennent pas compte de la qualité des partenaires ; mais les références les plus abondantes à ce questionnement, se retrouvent dans des textes médicaux, philosophiques et politiques.

    La sage-femme : une figure centrale

    Dans cette thématique, l’image de la sage-femme est centrale : personnage complexe aux multiples responsabilités socio-médicales dans la gestion de la reproduction humaine, allant du conseil aux partenaires amoureux dans les modalités de leur union, jusqu’à l’accompagnement de la parturiente en « travail », en passant par le choix - parmi les nouveaux-nés - de « ceux qui valent la peine qu’on les élève » [1]. La sage-femme est une figure assez importante dans l’imaginaire grec pour que Platon fasse de Socrate le fils d’une accoucheuse, lui-même « accoucheur d’idées ». Socrate ira même jusqu’à faire l’analogie entre processus de pensée maïeutique et infanticide sélectif dans le dialogue Théétète, conseillant à son interlocuteur de « tuer » dès la naissance certaines idées inaptes à la vérité.

    Dans le contexte médical de la Grèce ancienne, se développe aussi une fantasmatique du « monstre », figure anormale, pathologique et source de superstitions dans la cité. Aristote le considère comme paraphysis (contre-nature) et s’interroge dans plusieurs de ses textes scientifiques sur la transmission héréditaire des tares et les manières de les éviter.

    Le discours platonicien relatif à l’eugénisme et au biocontrôle prend plusieurs formes dans La République et les Lois. D’abord, l’eugénisme est a-priori, c’est-à-dire qu’il consiste chez Platon en une organisation méticuleuse de la reproduction humaine, allant de la mutualisation des génitrices, à l’organisation de jeux truqués visant à donner aux individus les plus méritants des occasions de se reproduire et de transmettre ainsi leurs bons gènes. La doctrine eugénique de Platon en passe aussi par des phases a-posteriori, conseillant notamment de cacher dans un lieu « secret et dérobé aux regards » (euphémisme de l’infanticide...) les enfants nés avec une difformité...

    Au final, il ne se dégage pas de système cohérent de l’eugénisme en Grèce, mais un certain nombre de figures marquantes, récurrentes, qui accompagneront la notion sur toute son histoire, jusqu’à nous : la figure de l’éleveur, domestiquant l’homme comme il domine les bêtes ; la figure de la sage-femme ou du médecin, sachant séparer le bon grain humain de l’ivraie ; le poète, forgeur de mythologies héroïques, où l’homme s’installe dans des échelles hiérarchiques structurées ; et la figure du législateur, dirigeant la reproduction de l’homme par l’effet de lois coercitives, et allant jusqu’à développer une véritable ingénierie de l’humain.





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