FB : Un deputé britannique a récemment déclaré, à propos dIsraël, avoir ressenti un changement notable au cours de ces cinq dernières années. Aujourdhui, les députés britanniques soutiennent des EDM (Early Day Motions*) condamnant plus que jamais Israël et ce même député précise quil est désormais possible démettre des critiques à légard dIsraël y compris lorsquon sexprime sur les campus aux États-Unis. De même, ces dernières semaines, John Dugard, enquêteur indépendant sur le conflit israélo-palestinien auprès du Conseil des droits de lhomme pour les Nations unies, a déclaré que la terreur palestinienne était le résultat inévitable de loccupation, le Parlement européen a adopté une résolution exposant la politique disolement de la Bande de Gaza en tant quéchec tant sur le plan politique quhumanitaire. Enfin les Nations unies et lUnion européenne ont condamné Israël pour son usage excessif et disproportionné de la force dans la Bande de Gaza. Peut-on interpréter cela comme un changement dattitude envers Israël ?
*Les Early Day Motions : motions dont la discussion est renvoyée à un jour prochain. Elles sont généralement déposées par les députés "de base", qui nont que peu de chances de voir leurs autres motions discutées. Presque jamais débattues, elles permettent cependant dattirer lattention sur un sujet et de mesurer le soutien obtenu au nombre de signatures recueillies.
Ilan Pappé : Ces deux exemples indiquent un changement de lopinion publique et de la société civile. Malgré cela, le problème reste le même depuis soixante ans : ces élans et ces énergies ne se concrétisent pas et nont pas vocation à être traduites, dans un future proche, en politiques réelles sur le terrain. Et le seul moyen de soutenir la transition dun appui de la base vers des politiques concrètes est de développer lidée de sanctions et de boycott. Ceci peut donner une orientation claire et une direction à prendre pour les nombreux militants et les organisations non-gouvernementales qui ont montré leur solidarité à la cause palestinienne pendant toutes ces années.
Noam Chomsky : un changement très clair est apparu ces dernières années, sur les campus américains et dans les autres auditoires également. Il ny a pas si longtemps, une protection policière faisait partie de tout débat critique à légard dIsraël, les réunions étaient interrompues, les assemblées très hostiles et injurieuses. Cest tout à fait différent aujourdhui à quelques rares exceptions près. Les apologistes de la violence israélienne tendent souvent à être davantage sur la défensive plutôt quarrogants ou autoritaires. Mais la liberté de critique envers Israël est très réduite parce que les faits élémentaires sont systématiquement occultés. Ceci est particulièrement vrai dans le rôle décisif que les États-Unis prennent en tant quobstacle aux options diplomatiques, à miner la démocratie et à soutenir de manière indéfectible le programme israélien visant à saborder léventualité dun possible règlement politique. Mais présenter les États-Unis comme un intermédiaire légitime, quelque part incapable de poursuivre ses objectifs bienveillants est tout à fait révélateur et pas seulement dans ce domaine.
FB : Le terme apartheid est de plus en plus utilisé par les Organisations non-gouvernementales pour décrire les actions israéliennes envers les Palestiniens (à Gaza, les TPO, mais aussi en Israël même). La situation en Palestine et Israël est-elle comparable à lapartheid en Afrique du Sud ?
Ilan Pappé : Il existe des points communs, mais également des différences. Lhistoire coloniale porte en elle de nombreux chapitres communs et certains aspects de lapartheid se retrouvent dans la politique quIsraël mène contre sa propre minorité palestinienne et contre ceux des territoires occupés. Certains aspects de loccupation sont, malgré tout, pires que la réalité de lapartheid sud-africaine et certains autres aspects dans le quotidien des citoyens palestiniens en Israël ne sont absolument pas comparables à ce que fut lapartheid. Le point de comparaison essentiel est pour moi linspiration politique. Le mouvement anti-apartheid, lANC, les réseaux solidaires construits au fil des années en Occident, devraient inspirer une campagne pro-palestinienne plus précise et plus efficace. Cest pour cela que lhistoire de la lutte anti-apartheid doit être apprise plutôt que de sappesantir à comparer le sionisme avec lapartheid.
Noam Chomsky : Il ne peut y avoir de vraie réponse à cette question. Il existe des similarités et des différences. En Israël même, il y a de réelles discriminations, mais on est très loin de lapartheid en Afrique du Sud. Dans les Territoires occupés, lhistoire est tout autre. En 1997, jai prononcé un discours douverture à luniversité Ben Gourion dans le cadre de lanniversaire de la guerre de 1967. Jai lu un paragraphe lié à lhistoire de lAfrique du Sud. Aucun commentaire na été nécessaire.
En y regardant de plus près, la situation dans les Territoires occupés diffère de lapartheid à de nombreux égards. Sur certains aspects, lapartheid sud-africain fut beaucoup plus vicieux que ce qui se pratique en Israël et, sur dautres, on pourrait dire linverse. Pour prendre un exemple, lAfrique du Sud blanche existait par le travail noir. La grande majorité de la population ne pouvait être exclue. À un moment donné, Israël reposait sur une main-duvre palestinienne bon marché et corvéable à merci, mais ils ont été remplacés depuis longtemps par des petites mains venues dAsie, dEurope de lEst et dailleurs.
Les Israéliens seraient soulagés si les Palestiniens disparaissaient. Et on peut dire que les politiques qui prennent forme, suivent de près les recommandations de Moshe Dayan pendant la guerre de 1967 : les Palestiniens continueront de vivre comme des chiens et ceux à qui ça ne plaît pas, peuvent partir. Dautres recommandations encore pires ont été émises par certains humanistes américains de gauche grandement reconnus. Michael Walzer, par exemple, de lInstitute of Advanced Studies à Princeton et rédacteur du journal démocrate socialiste Dissent, a émis lidée voilà 35 ans, que les Palestiniens étant des marginaux de la nation, on devrait leur donner les moyens de partir. Il parlait des citoyens palestiniens en Israël et cest une idée largement reprise encore récemment par lultra-nationaliste Avigdor Lieberman et relayée aujourdhui parmi les principaux courants dopinion en Israël.
Je mettrais de côté les vrais fanatiques comme le professeur de droit dHarvard, Alan Dershowitz qui déclare quIsraël ne tue jamais de civils, mais seulement des terroristes ce qui reviendrait à dire que terroriste signifie tué par Israël ; et quIsraël devrait avoir pour objectif un ratio de 1 000 pour zéro ce qui sous-entend exterminer les brutes. Ceci est lourd de sens lorsquon sait que ceux qui défendent de telles idées sont largement respectés dans les cercles les plus éclairés aux États-Unis et même en Occident. On peut imaginer ce que seraient les réactions si de tels propos étaient tenus à légard des Juifs.
Pour revenir à la question, il ny a pas de réponse claire à apporter sur une possible analogie.
FB : Israël a annoncé récemment le boycott de la conférence des Nations unies sur les droits de lhomme à Durban parce quil serait impossible dempêcher cette conférence de devenir un festival dattaques anti-israéliennes et a également annulé une réunion avec des officiels costaricains sous le prétexte que ce pays reconnaît formellement lÉtat palestinien. Le fait quIsraël refuse toute forme de critique à son encontre pourrait-il se retourner contre elle ?
Ilan Pappé : On peut espérer que ce retournement de situation se produise un jour. Mais tout est lié à un équilibre des pouvoirs sur un plan global et sur un plan régional, pas uniquement aux excès israéliens. Les deux points, cest-à-dire léquilibre des pouvoirs et lintransigeance israélienne pourraient être liés dans le futur. Si un changement apparaissait dans la politique menée par les États-Unis ou si son rôle hégémonique dans la région venait à changer alors lattitude inflexible dIsraël pourrait conduire certains pays à adopter une position plus critique envers Israël et accentuer la pression sur lÉtat juif afin quil cesse sa politique doccupation et de dépossession de la Palestine.
Noam Chomsky : On peut saccorder ou pas de ces décisions, mais elles nimpliquent absolument pas un refus de quelque critique que ce soit envers sa politique. Je doute que ces décisions-là puissent jouer contre Israël ou même avoir le moindre écho.
FB : Comment Israël pourrait-elle trouver un accord avec une organisation qui refuse de reconnaître son existence et dont le fondement même repose sur lidée de destruction de lÉtat juif ? Si le Hamas souhaite vraiment cet accord, pourquoi ne reconnaît-il pas Israël ?
Ilan Pappé : La paix se règle entre ennemis, pas entre amoureux. Le résultat final du processus de paix peut être une reconnaissance politique islamique sur la place des Juifs en Palestine et au Moyen-Orient en général, soit dans un État propre soit dans un État partagé. LOLP a entamé des négociations sans changer ses idées ce qui nest pas si différent lorsquon parle de lattitude à légard dIsraël. Donc la solution réside dans lélaboration dun texte, dune solution et dune structure politique qui intègrent un ensemble et qui permettent à toutes les nationalités, ethnies, religions et ideologies de cohabiter.
Noam Chomsky : Pour le Hamas, reconnaître Israël, ce serait comme si le Kadima reconnaissait la Palestine ou si le Parti démocrate aux États-Unis reconnaissait lAngleterre. On peut se demander si un gouvernement dirigé par le Hamas doit reconnaître Israël ou si un gouvernement mené par le Kadima ou le Parti démocrate doit reconnaître la Palestine. Jusquici tous ont refusé de le faire, bien que le Hamas ait au moins appelé à la possibilité dune solution à deux États, comme le long processus international saccorde à le faire alors que le Kadima et le Parti démocrate refusent daller aussi loin, restant sur une position de rejet que les États-Unis et Israël affichent de manière isolée depuis plus de trente ans. Mais pour ce qui est des mots, lorsque le Premier ministre Olmert déclare devant le Congrès américain, quil croit à notre droit éternel et historique sur la totalité de cette terre et quil y reçoit une ovation, il fait sans aucun doute référence non seulement à la Palestine du Jourdain jusquà la mer, mais également à lautre rive du Jourdain, fief historique du Likoud, une revendication qui na jamais été officiellement abandonnée, à ce que je sache. Pour ce qui est du Hamas, je pense quils devraient renoncer à cette partie de leurs revendications et passer de lidée dune solution à deux États à lidée de reconnaissance mutuelle. Il faut quand même garder à lesprit que ses positions restent plus ouvertes que celles dIsraël et des États-Unis.
FB : Ces derniers mois, Israël a accentué ses attaques sur Gaza et évoque la possibilité dune attaque terrestre imminente, il y a aussi une forte présomption sur son implication dans lassassinat du leader du Hezbollah, Mughniyeh et appelle à de plus fortes sanctions (y compris militaires) contre lIran. Pensez-vous que les velléités guerrières dIsraël puissent la mener à sa propre perte ?
Ilan Pappé : Oui je pense que lagressivité se fait plus forte et Israël se montre de plus en plus hostile non seulement à lencontre de la Palestine, mais aussi à lencontre du monde arabe et de lislam. Léquilibre militaire du pouvoir aujourdhui réside dans la présence dIsraël, mais cela peut changer à tout moment en particulier si les États-Unis réduisaient leur soutien.
Noam Chomsky : Jai écrit il y a quelques dizaines dannées que ceux qui se proclament défenseurs dIsraël sont en réalité les défenseurs de sa dégénérescence et probable auto-destruction. Je crois également depuis longtemps que le choix très clair dIsraël de renforcer sa politique sécuritaire et ce, depuis le refus de paix global proposé par le président Sadat en 1971 pourrait très bien mener Israël à sa perte.
FB : Que faudrait-il pour que les États-Unis retirent leur soutien inconditionnel à Israël ?
Ilan Pappé : Hors de ses frontières, un effondrement de sa politique au Moyen-Orient, en particulier à travers léchec de lun de ses alliés. Ou bien, mais cest moins probable, la montée dun contre-pouvoir européen.
Sur son territoire, une crise économique majeure et le succès des forces de coalition actuelles qui travaillent au sein de la société civile pourraient provoquer ce changement.
Noam Chomsky : Pour répondre à cette question, il faut connaître les sources de ce soutien. Le secteur industriel aux États-Unis, qui dessine les contours de la politique à mener, paraît tout à fait satisfait de la situation actuelle. Lun des indicateurs est le flux dinvestissement en Israël dIntel, Hewlett Packard, Microsoft et dautres leaders de lindustrie high-tech. Les relations militaires et de renseignements restent très fortes. Depuis 1967, les intellectuels vivent une histoire damour avec Israël pour des raisons qui sont dabord propres aux États-Unis selon moi. Cela affecte lourdement limage qui est donnée des événements dans les médias et les journaux américains. Les Palestiniens sont faibles, dispersés, isolés et napportent rien en matière de concentration des pouvoirs aux États-Unis. Une large majorité des Américains soutiennent le consensus international dune solution à deux États et appellent même à une égalité de laide entre Israël et la Palestine. Sur ce point et dans bien dautres domaines, les deux principaux partis sont en décalage avec la population. 95 % des Américains pensent que leur gouvernement devrait davantage prêter attention à lopinion de la population, un avis rejeté parmi les élites (parfois de manière très claire, dautres fois de manière plus discrète). La prochaine étape plus impartiale serait une promotion démocratique au sein même des États-Unis. Au-delà de ce point, il faudrait que certains événements mènent à une nouvelle répartition des intérêts parmi les élites.
FB : www.counterpunch.org a publié récemment un débat très intéressant comparant les solutions à 1 ou 2 États. Ceci est parti dun article de Michael Neumann établissant la solution à 1 État comme une illusion suivi dautres articles dAssaf Kfoury titré Un ou deux États ? - Un débat stérile fondé sur de fausses alternatives ou de Jonathan Cook Un ou deux États, non, le problème est le sionisme. Quelle est votre opinion sur ce point et pensez-vous que les faits sur le terrain (colonies, déviations de routes...) provoqués par Israël puissent encore laisser une place à une solution à 2 États ?
Ilan Pappé : Les événements sur le terrain ont condamné la solution à 2 États depuis bien longtemps. Les faits ont démontré quIsraël na et naura jamais la volonté de laisser naître un État palestinien autre quun État apatride fait de deux bantoustans en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza sous un total contrôle israélien.
Il existe déjà un État et le défi est den changer sa nature et son régime. Que le nouveau régime et la base constitutionnelle soient bi-nationaux ou démocratiques voire les deux nest pas si élémentaire à cet égard. Tout contexte politique qui pourrait remplacer la conjoncture raciste est la bienvenue. Et une telle situation devrait également permettre le retour des réfugiés et linstallation définitive des émigrés les plus récents.
Noam Chomsky : Il faut faire la distinction entre propositions et plaidoyers. On peut proposer que chacun doive vivre en paix. Cela devient un plaidoyer lorsquon dessine un schéma précis allant dun point A à un point B. À mon sens, une solution à un seul État na pas grand sens, elle en a avec deux États. On a pu défendre une telle thèse de 1967 jusquau milieu des années 70 et cest ce que jai fait, à travers de nombreux écrits, conférences et dans un livre. Les réactions, dans une grande majorité, nont été que fureur. Après que lidée de droits nationaux pour les Palestiniens ait fait son chemin au milieu des années 70, il est devenu possible de prôner le bi-nationalisme (et je continue de le faire), mais seulement par le biais dun accord à 2 États en accord avec le consensus international. Cette résultante, probablement la meilleure envisageable à court terme, est quasiment parvenue à son terme lors des négociations de Taba en janvier 2001 et selon les participants, aurait pu être atteinte si ces négociations navaient été interrompues par le Premier ministre israélien, Barak. Cela fut le moment depuis trente ans où les deux États réjectionnistes (États-Unis et Israël) ont brièvement mais sérieusement considéré saligner sur le consensus international et linstant où un accord diplomatique a semblé pouvoir voir le jour. Beaucoup de choses ont changé depuis 2001, mais je ne vois aucune raison de croire que les conditions de lépoque ne puissent exister aujourdhui.
Il est intéressant et je dirais même édifiant de voir que les propositions dune solution à 1 seul État soient communément admises aujourdhui contrairement à lépoque où sa revendication était réalisable et ne débouchait que sur des condamnations. Aujourdhui de telles propositions sont publiées dans le New York Times, le New York Review of Books et ailleurs. On en conclura quelles sont acceptables aujourdhui parce quirréalisables - elles restent des propositions au lieu de revendications. En pratique, les propositions apportent de leau au moulin du rejet américano-israélien et sapent progressivement lunique solution bi-nationale .
Il y a deux options pour les Palestiniens aujourdhui. Lune est labandon de lattitude réjectionniste américano-israélienne et un accord reprenant les lignes de ce qui fut évoqué à Taba. Lautre possibilité est la continuation des politiques actuelles qui mène inexorablement à lintégration de ce que souhaite Israël : au minimum, le Grand Jérusalem, les zones quincluent le mur de séparation (ou dannexion désormais), la Vallée du Jourdain et les colonies de Maaleh Adumin et Ariel (ainsi que les liens entre ces deux colonies). Le reste (État palestinien) se verra découpé en cantons ingouvernables, par de vastes infrastructures, des centaines de points de contrôles et autres dispositifs qui condamneront les Palestiniens à continuer à vivre comme des chiens.
Il y a ceux qui pensent que les Palestiniens devraient tout bonnement laisser Israël prendre le contrôle total de la Cisjordanie et poursuivre leur mouvement de revendication de droits civils et une lutte anti-apartheid. Mais cest une illusion. Ils vont maintenir les politiques actuelles et refuseront de céder la moindre responsabilité aux Palestiniens disséminés dans la région quils souhaitent voir intégrée au territoire israélien.
FB : Au cours de mon récent voyage en Israël/Palestine, jai pu noter de manière évidente (en parlant avec les gens sur place, en lisant la presse ou en regardant la télévision) quil existe un point qui semble grandement effrayer Israël : un boycott. Êtes-vous en faveur de ce type daction et pensez-vous quil puisse avoir un effet ?
Ilan Pappé : Jy suis tout à fait favorable et je crois que ça pourrait avoir des conséquences notables sur le terrain.
Noam Chomsky : Les boycotts ont parfois du sens. Pour exemple, de telles actions contre lAfrique du Sud ont été efficaces même si ladministration Reagan sest dédouanée des sanctions en déclarant lANC de Nelson Mandela comme organisation terroriste (en 1988). Les actions furent efficaces parce quun travail de terrain a été opéré en termes déducation et dactivisme. Avant dêtre mis en place, ce boycott a reçu un soutien conséquent aux États-Unis via les parties politiques, les métiers et même le secteur industriel. Rien de tout cela na été fait de près ou de loin dans le cas qui nous intéresse. De ce fait, tous les appels au boycott se retournent inévitablement contre les Palestiniens qui subissent des politiques toujours plus dures et plus brutales.
Les boycotts, sils sont clairement formulés, ont parfois du sens : le boycott des fabricants darmes qui fournissent Israël ou de Caterpillar Corporation qui livrent des équipements pour la destruction de la Palestine. Ces opérations sont totalement illégales et les boycotts pourraient trouver un écho auprès de lopinion publique.
Les boycotts sélectifs peuvent aussi avoir un effet sur des États beaucoup plus violents et cruels quIsraël, comme les États-Unis. Évidemment, sans le soutien massif et sa participation, Israël ne pourrait pas poursuivre sa politique expansionniste illégale et ses autres crimes. Il ny a pas dappel au boycott contre les États-Unis, pas par principe, mais à cause du pouvoir de cette nation des faits qui soulèvent dévidentes interrogations relatives à la légitimité morale dactions menées contre ses clients.
FB : De retour dIsraël et de Palestine, il y a quelques semaines, le directeur de lICAHD (Comité israélien contre les destructions de maisons palestiniennes) au Royaume-Uni a déclaré quaprès Annapolis pas un pas navait été fait (
) au regard de la judaïsation du pays, jai un sentiment de dégoût et de colère. Pensez-vous que la résistance palestinienne (presque toujours pacifique jusquici à lexception du Hamas) pourrait revenir à une lutte armée et engendrer une troisième Intifada encore plus violente ?
Ilan Pappé : Il est difficile de répondre à cette éventualité, en théorie cest une possibilité, la question est de savoir si les résultats seraient différents des deux premiers soulèvements, mon sentiment est que cest fort peu probable.
Noam Chomsky : Mon avis a toujours été que les leaders palestiniens ont toujours fait le cadeau à Israël et à ses soutiens aux Etats-Unis de recourir à la violence et dappeler à la révolution en dehors du fait, au-delà des considérations tactiques, que le recours à la violence porte en lui une très lourde charge en termes darguments. Rien nest plus utile aujourdhui à Israël et aux faucons américains que lutilisation de roquettes Qassam qui les autorisent à pousser des cris deffroi concernant le droit daccroître le taux de mortalité à linfini (toute victime étant classée comme terroriste). Jai également le même avis que certains de mes amis (comme Edward Said et Eqbal Ahmad) qui ont été en contact avec les leaders palestiniens : une opposition non-violente aurait eu des perspectives considérables dans loptique dun succès. Et jy crois toujours, cest même la seule perspective possible.
FB : Sur quels sujets les ONG et associations caritatives travaillant pour la justice en Palestine devraient se concentrer dans les prochains mois ?
Ilan Pappé : Ils savent ce quils doivent faire et je nai pas de réels conseils à leur donner. Je crois quils nous donnent des lignes directrices par leurs appels au boycott et de telles initiatives comme celles-là peuvent être très utiles. Mais le plus important serait quils poursuivent leur combat pour la réconciliation et lunité du peuple palestinien.
Noam Chomsky : Lurgence au quotidien est la lutte contre les violations inacceptables des droits de lhomme les plus élémentaires et les implantations illégales soutenues par les États-Unis ainsi que les projets de développement voués à miner tout accord politique. Au-delà, il faut essayer détablir la base dun combat réussi menant à un accord prenant en compte les demandes légitimes des différentes parties cest un travail difficile, contraignant, qui réclame dialogue et organisation, mais qui est la base dune avancée en termes de justice et de paix. Jai déjà exposé ce que cela comporte, par exemple commencer par une promotion efficace de la démocratie dans la superpuissance au pouvoir.