• Nanotechnologie militaire

     

     

    Selon un quotidien israëlien paru vendredi, l'état éponyme utilise la nanotechnologie pour créer des robots de la taille d'un frelon, qui seraient capables de pister, de photographier et de tuer les cibles qui lui seraient assignées.

     
    Le robot volant, connu sous le nom de " bionic hornet " ou frelon bionique, serait a priori capable de se frayer un chemin dans de tous petits endroits, afin de pouvoir réaliser de véritables opérations de frappes chirurgicales, avec par exemple la neutralisation d'ennemis auparavant difficilement atteignables, comme des soldats équipés de lance-roquettes, selon le quotidien Yedioth Ahronoth.





    Une technologie en devenir
    La nanotechnologie et la robotique sont décidément au coeur de nombreuses actualités, comme nous vous en parlions
    ici, ou , et comme nous vous en parlons aujourd'hui.

    Le " frelon " nanotechnologique est un des projets parmi ceux que développent les scientifiques militaires du pays. D'autres projets existent, tels ces gants modifiés qui augmenteraient puissamment la force du porteur (qui a dit iron man') ainsi que des senseurs miniaturisés à l'extrême, afin de se prémunir contre les attaques suicides qui sont fréquentes là-bas.

    Selon Shimon Peres, vice-premier ministre, la recherche intègre de fait pleinement la nanotechnologie dans le champ des possibilités offertes au département de la sécurité israëlienne, qui fera en sorte de trouver des solutions pour résoudre les problèmes que l'armée ne peut régler de manière conventionnelle.


    La guerre robotique deviendrait-elle une réalité'
    " La guerre au Liban nous a montré combien il était primordial de s'équiper en armes beaucoup plus petites. Il n'est absolument pas logique d'envoyer un avion qui coûte 100 millions de dollars pour s'occuper d'un seul terroriste suicidaire. Nous avons donc décidé de commencer à construire des armes bien plus adaptées à la situation et assez futuristiques " a expliqué Peres dans les colonnes du quotidien.

    La guerre de 34 jours qui eu lieu au Liban cet été s'est finie par un cesser-le-feu organisé par les Nations Unies. La guerre a fait plus de 1,200 victimes libanaises, principalement des civils et 157 israëliens, la plupart militaires.

    Selon les estimations annoncées, les prototypes de ces nouvelles armes seront disponibles dans trois ans. Effet d'annonce politique, ou véritable avancée dans la technique ' Le futur nous dira ce qu'il en est vraiment.











     
     

    De l’usage militaire des nanotechnologies

     

    Louis Laurent

    Physicien

     

    Aux Etats-Unis, le domaine de la défense absorbe un quart des financements de l'Initiative nationale sur les nanotechnologies. Un livre récent du physicien allemand Jürgen Altmann analyse les possibles applications militaires des nanotechnologies  en couvrant un large spectre,  des applications les plus réalistes aux plus folles. Louis Laurent propose une compilation des perspectives que Jürgen Altmann décrit dans son ouvrage.





    Jürgen Altmann
    © Université de Dortmund

    Jürgen Altmann, physicien à l’Université de Dortmund, a récemment publié l'une des premières analyses prospectives d'ampleur consacrées aux applications militaires des nanotechnologies (1). Il y dépeint en particulier les programmes qui sont financés aux Etats-Unis dans le cadre de la « National Nanotechnology Initiative », un projet fédéral américain de l’ordre d'un milliard de dollars, dont environ 25 % au titre du département de la Défense (2).

    Particulièrement instructive est l’analyse que brosse Jürgen Altmann des applications militaires des nanotechnologies à partir de la littérature existante et des programmes de recherches américains, comme ceux de la DARPA, la Defense Advanced Research Projects Agency (3). On pourrait classer les applications qu’il évoque en trois catégories : les retombées de recherches non spécifiquement militaires, les développements de nature militaire, et des perspectives plus spéculatives.




    Les systèmes embarqués par des avions de chasse profiteront largement de la miniaturisation des dispositifs de communication et de traitement de l'information.
    © Air Force Musicians Association

    Des ordinateurs de la taille d'un dé à coudre

    Première application : les retombées de recherches non spécifiquement militaires. Cette première catégorie, comprend les utilisations de technologies civiles pour l’information et la communication, les matériaux, les capteurs, la gestion de l’énergie. Dans la plupart des cas, il s’agit d’évolutions estimées par Altmann à un horizon de cinq à dix ans.

    Dans le domaine des technologies de l’information, l’industrie de l’électronique va produire ces vingt prochaines années des circuits de plus en plus performants en terme de puissance de calcul, et cela à un rythme soutenu. On peut imaginer que naîtront de petits calculateurs de la puissance d’un ordinateur de bureau actuel, mais enfermés dans des centimètres cubes voire des millimètres cubes. Ces calculateurs pourraient alors se généraliser, par exemple dans tout ce qui est logistique, les systèmes portés par le fantassin, mais aussi dans les munitions de petite taille qui pourraient ainsi acquérir des capacités de guidage accrues.

    De même, cette évolution va mener à la prolifération de capteurs autonomes capables de calculer et de communiquer sans fil. Altmann précise toutefois que la miniaturisation rencontre des limites, par exemple le fait que, lorsqu’il s’agit de communiquer à une distance utile, des antennes et des sources de puissance de tailles centimétriques deviennent nécessaires. L’apparition de petits écrans plats et souples, peu gourmands en énergie permettrait en outre de réaliser de nombreux systèmes de visualisation de l’information.

    Au-delà de cette évolution « classique », des systèmes d’information d’un genre nouveau pourraient se développer et permettre l’accroissement des puissances de calcul ou des capacités de stockage de l’information : nouveaux composants fondés sur le magnétisme, par exemple des mémoires magnétiques qui ne s’effacent pas lorsqu’on coupe le courant, donc des ordinateurs instantanément prêts à l’allumage ; systèmes optiques assurant des transferts rapides avec des débits qui se mesureraient en térabits (mille milliards de bits) par seconde, systèmes à basse consommation ; mémoires moléculaires avec des densités d’information dix mille fois supérieures à celles des circuits actuels.

    Le développement des puissances de calculs disponibles et des moyens de communication a pour corollaire de nouveaux logiciels. Ils peuvent concerner des simulations de champs de bataille virtuels à des fins d’entraînement ou d’analyse stratégique, mais aussi la gestion de la logistique. D’autres perspectives qui semblent à portée sont la capacité des machines à communiquer en langage naturel, les systèmes de traduction automatique, l’accès à des données variées. A plus long terme, on peut imaginer des systèmes autonomes et intelligents.

     

    Matériaux nanostructurés

    Dans le domaine des matériaux et systèmes mécaniques, des additifs nanométriques seront utilisés tout d’abord pour améliorer les propriétés des matériaux, par exemple pour répondre à des contraintes variées (les rendre peu inflammables, imperméables, conducteurs de l’électricité). La résistance mécanique des matériaux sera accrue. Jürgen Altmann évoque des composites à base de nanotubes de carbone ou des alliages métalliques nanostructurés qui pourront servir à réaliser des structures plus légères ou plus résistantes.




    Concept d'un biocapteur électrochimique à base d'un microréseau de nanotubes de carbone, capable de détecter des molécules d'ADN ou de petites molécules.
    © Nasa

    En défense, un domaine d’utilisation privilégié est bien entendu le blindage. Altmann estime que l’évolution la plus forte se fera dans le domaine des protections contre les projectiles légers (gilets pare-balle), les nanomatériaux n’ayant que peu d’efficacité contre des projectiles lourds. De même, des matériaux améliorés peuvent avoir un impact sur les armes, qu’il s’agisse de projectiles plus pénétrants mais aussi de substituts aux métaux rendant les armes plus difficilement détectables. Un dernier domaine d’application est celui des matériaux « intelligents », éventuellement inspirés du vivant : ils pourraient se déformer, exercer une force, s’adapter, par exemple modifier leurs propriétés optiques dans le but de réaliser des camouflages. On peut imaginer des systèmes sophistiqués contenant de nombreux moteurs miniatures (bio-inspirés, matériaux simulant des muscles, moteurs électrostatiques, etc.) réalisant des mouvements complexes ou simplement plus robustes, la puissance motrice étant répartie dans le matériau et non pas centralisée sur un moteur.

    Les nanotechnologies permettent par ailleurs de développer des capteurs de taille extrêmement réduite. Jürgen Altmann note qu’un détecteur de petite taille n’est toutefois pas toujours aussi sensible qu’un détecteur plus grand et que la course à la miniaturisation n’apporte pas toujours un gain en performance. Cependant, il est probable que le nombre de détecteurs en usage va augmenter, qu'il s'agisse de systèmes de détection d’agression, de localisation, à usage médical, de détection…

     

    Autonomie puissance dix

    Une évolution en cours est la généralisation de capteurs « communicants », c'est-à-dire de systèmes autonomes, capables de transmettre par ondes le résultat de leurs mesures. En pratique, une portée raisonnable demande des systèmes centimétriques mais il existe des voies de miniaturisation plus poussée vers des systèmes millimétriques, voire submillimétriques, contenant divers types de capteurs (sismique, d'ondes sonores, chimique, de radiations) que l’on « saupoudrerait » sur le terrain par milliers. La portée radio de tels systèmes étant très faible, l’information se déplacerait de proche en proche ou serait lue à distance, par exemple à l’aide d’un laser.

    Un autre domaine d’application de ces capteurs est le soldat lui-même. Différents systèmes localisés à la surface du corps, voire implantés, permettraient de suivre son état de santé voire de donner l’alerte ou déclencher des contre-mesures en cas d’agression.

    La gestion de l’énergie est un terrain de jeu complémentaire. Selon Jürgen Altmann, les nanotechnologies peuvent permettre des avancées pour les sources d’énergies de forte puissance, avec des piles à combustible de quelques dizaines de kilowatts pour les véhicules, comme pour les sources d’énergie de faibles puissances (du microwatt à la centaine de watts), qui seraient destinées à rendre autonomes des systèmes portés par un fantassin, voire implantés dans son corps. Les techniques envisagées sont variées : énergie solaire, piles à combustible, chaleur du corps, glucose, etc.

    Les matériaux énergétiques (explosifs, propulsion) ne sont pas en reste : il devient possible de réaliser des milieux dans lesquels les échanges d’énergie sont optimisés par des mélanges intimes de carburant et comburant, des puissances programmables, des molécules « sur mesure ». Altmann évoque toutefois des augmentations modestes des capacités énergétiques (moins d’un facteur deux).




    Le futur combattant disposera de multiples capteurs et dispositifs d'assistance qui le rendront moins vulnérable et plus efficace.
    © National Institute of Standards and Technology

    De la tenue intelligente au micromissile

    Selon Jürgen Altmann, toutes ces pistes n’aboutiront pas nécessairement à des systèmes utiles à des fins militaires, en particulier en raison des limitations en puissance, en mobilité, et en charge utile des microsystèmes. Mais les possibilités sont nombreuses et variées : tenues « intelligentes » capables d’interagir avec le corps du soldat, de changer d’apparence et offrant une perception accrue des agressions extérieures, une meilleure protection, voire quelques soins médicaux (compression de plaie, attelle en cas de fracture, injection de médicaments) ; munitions ou missiles plus petits à cause de l’allègement des structures et de la plus forte puissance des propulseurs mais surtout du fait de l’augmentation de la précision de la trajectoire qui permet de diminuer la charge explosive transportée ; véhicules plus légers, plus puissants et surtout autonomes qu’il soient terrestres, marins ou aériens (surveillance, logistique, attaque), etc.

    Jürgen Altmann discute également l’impact que pourrait avoir l’amélioration des explosifs et des matériaux sur les armes nucléaires. Il avance la possibilité de réduire la masse de matériau fissile nécessaire mais ne pense pas que cela induirait un changement qualitatif de ce type d’armes. De même, l’impact que ces techniques pourraient avoir dans le domaine spatial ne paraît pas anecdotique. Altmann évoque en particulier la possibilité de réaliser des microsatellites d’une dizaine de grammes, éventuellement associés en essaims. Ils pourraient être mis en orbite par des fusées de taille modérée lancées à partir d’un avion. Ces satellites seraient capables de détection (il s’agit d’une extension du cas des capteurs discutés ci-dessus), pourraient inspecter ou réparer d’autres satellites, mais aussi constituer des armes anti-satellite.

    Une deuxième catégorie de développements, plus spécifiquement militaires, rassemble des réalisations plus spéculatives et en tout cas de plus long terme (dix à vingt ans). Elles constituent souvent une rupture avec l’existant et posent des problèmes d’éthique, voire correspondent à des armes explicitement interdites par la Convention sur les armes chimiques (4) et celle sur les armes biologiques (5).

     

    « Amélioration » de l’humain, microrobots et hybrides animal-machine

    Des systèmes localisés dans le corps ou à sa surface pourraient à long terme donner de nouvelles possibilités au soldat. Des capteurs - actionneurs pourraient injecter, en fonction des circonstances, diverses substances capables d’augmenter la résistance du combattant aux agressions, de soigner voire de modifier son comportement. Des connexions entre des micromachines et le système nerveux pourraient augmenter la rapidité d’une action, voire implémenter de nouveaux sens par branchement de capteurs. Altmann rapproche ces perspectives des recherches médicales actuelles destinées à guérir des lésions graves de la rétine ou de la moelle épinière. Une troisième catégorie d’action consiste à améliorer les capacités mécaniques du corps par exemple en renforçant les os, les muscles ou en développant un exosquelette.




    Robolobster, robot biomimétique sous-marin mis au point au Northeastern University´s Marine Science Center (Nahant, Massachusetts). Les nanotechnologies apporteront miniaturisation, légèreté et résistance aux robots à usage militaire.
    © U.S. Navy, photograph by John F. Williams

    Jürgen Altmann discute la possibilité de réaliser des microrobots de taille inférieure à 5 millimètres voire submillimétriques. Il mentionne les difficultés techniques soulevées par un tel concept, notamment leurs limites en ce qui concerne l’énergie, les communications et les déplacements qui ne pourraient être que limités. Sur ce dernier point, divers modes de déplacements pourraient être envisagés (flagelle, pattes, ondulations, vent…), mais aussi transport par des projectiles ou des véhicules plus gros. De tels robots serviraient avant tout à des opérations de surveillance, mais pourraient être aussi utilisés comme armes ou moyens de sabotage, soit en mode isolé soit en essaim.

    Combiner du vivant avec des systèmes est une autre grande perspective. Une première approche consiste à équiper un petit animal (rat, insecte) d'un système de contrôle permettant de le « télécommander » voire d’augmenter ses capacités. Jürgen Altmann évoque ainsi les travaux de l’équipe de Sanjiv Talwar (Neural and Behavioral Science Program, State University of New York Downstate Medical Center) sur les « ratbots » publiés en mai 2002 dans la revue Nature (6). De même, des morceaux d’organes sensoriels (souvent plus performants que les capteurs artificiels actuels) pourraient être implantés dans des microrobots. Altmann évoque avec raison le flou qui peut s’instaurer entre le vivant et le non-vivant dans un tel contexte.

     

    Armes chimiques et biologiques

    Jürgen Altmann discute la possibilité d’associer des toxiques chimiques ou des espèces pathogènes à des nanosystèmes capables par exemple d’assurer un stockage plus sûr de ces substances mais aussi de les transporter sur des cibles spécifiques, voire avec un certain degré de sélectivité. Cependant les « armes ethniques » (qui viseraient des ethnies particulières ou leurs ressources) lui semblent actuellement peu plausibles.

    Une dernière catégorie d’applications est, comme l’indique Jürgen Altmann, beaucoup plus spéculative. Elles sont associées à des capacités de manipulation de la matière à l’échelle atomique, rêvées par Eric Drexler dans les années 1980.

    La littérature évoque la possibilité de réaliser un jour des nanorobots capables de réaliser certaines tâches en manipulant la matière à l’échelle moléculaire mais aussi de se répliquer à l’image du vivant. Ces « nanobots » pourraient être utilisés pour construire en un temps record des équipements militaires y compris nucléaires, et cela à partir de ressources variées disponibles par exemple dans le sol (minéraux, carbone,…).

     

    Des armes de destruction massive ?

    Des systèmes de très petite taille doués de capacités proches de celles du vivant en terme d’autonomie, de possibilités de se reproduire, de perception de l’environnement, voire de calcul, ouvriraient la porte à de nombreuses armes d’un type nouveau. Elles ne remplaceraient pas les armes « classiques », qui se caractérisent en général par une grande libération d’énergie, mais agiraient en pénétrant dans le corps, en modifiant le métabolisme ou en causant des dégâts éventuellement mortels, en attaquant des infrastructures (abrasion, corrosion, courts-circuits), ou encore en détruisant les moyens de communication ou les systèmes informatiques. Jürgen Altmann évoque des variantes sélectives agissant sur des cibles précises ou au contraire des versions destinées à la destruction massive.

    Très brièvement, Jürgen Altmann spécule sur la possibilité de stocker dans des systèmes de très petites tailles de l’antimatière produite par un accélérateur de particules. Des pièges miuscules permettraient de stabiliser des nuages d’anti-atomes en les faisant léviter à l’abri des collisions avec des atomes, ce qui aurait pour effet de les annihiler. Si l'on arrivait un jour à en piéger un nombre suffisant (un microgramme d’antimatière représente 44 kilogrammes de TNT), on pourrait réaliser par exemple des bombes ou des amorces pour des bombes thermonucléaires qui pourraient alors être miniaturisées.

    Un texte qui interpelle, à n’en pas douter essentiel pour le dialogue international sur les nanotechnologies qui est en cours d’instauration.



    Références

    (1) J. Altmann (2006) Military nanotechnology: Potential applications and preventive arms control, Editions Routledge, Londres et New York , 2006

    (2) http://www.nano.gov/html/about/funding.html

    (3) http://www.darpa.mil/body/off_programs.html

    (4) (http://www.un.org/Depts/dda/WMD/cwc/

    (5) http://www.opbw.org/  

    (6) Voir M. Sigman (2004) Commander une machine par la pensée, Le Monde diplomatique, septembre 2004.
    http://www.monde-diplomatique.fr/2004/09/SIGMAN/11452