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Le patriot act
PATRIOT ACT : L'AMÉRIQUE
SOUS HAUTE SURVEILLANCEpar Mathieu Bréard
« Ce que nous voyons est tout simplement la capitulation et la rhétorique intransigeante et fallacieuse d'une Maison-Blanche qui voit n'importe quel effort pour protéger les libertés civiles comme un signe de faiblesse. »
-Russ Feingold, sénateur démocrate, Wisconsin
Le USA Patriot Act fait lobjet de critiques de plus en plus virulentes tant de la part de regroupements de citoyens que de conseils municipaux et de législatures dÉtat. Adopté sous le coup de lémotion au lendemain des attentats terroristes du 11 septembre, il donne aux agences fédérales des pouvoirs extraordinaires pour perquisitionner des propriétés privées, saisir des documents confidentiels et mettre sous écoute des lignes téléphoniques. Le tout en contournant les protocoles judiciaires en vigueur. En 2005, la Chambre des représentants des États-Unis a voté la prolongation de l'application des mesures de la loi, malgré la polémique(1), avec en prime quelques modifications que lon peut qualifier de purement cosmétiques.
La création du Privacy and Civil Liberties Oversight Board, une proposition bipartisane qui devait passer en revue les articles de la loi, ne fut rien dautre quune véritable farce. Les gens appelés à siéger sur le comité furent tous nommés par le président Bush et les audiences eurent lieu à la Maison-Blanche, le siège de lexécutif(2). Il se trouve que cest justement cette branche qui est pointée du doigt pour avoir abusé de ses pouvoirs et qui se retrouve à enquêter sur elle-même. Ce qui va à lencontre du principe de léquilibre des forces (check and balance) que lon retrouve dans la Constitution. Le Patriot Act comporte de nombreuses zones grises, qui font en sorte quil devient difficile de tracer la frontière entre le simple citoyen et le terroriste.
Le nez dans les livres
Préserver sa vie privée des regards indiscrets, sexprimer librement et jouir des bienfaits de sa propriété sans craindre de la voir violer, sont des valeurs auxquelles sont profondément attachés les Américains.
Larticle 215 du Patriot Act a de quoi faire sourciller puisquil autorise le Bureau fédéral dinvestigation (FBI) à utiliser certaines clauses dérogatoires qui rendent lapplication du quatrième amendement de la Constitution pratiquement obsolète. Les agents fédéraux peuvent saisir, sans motif ou preuves valables, des archives contenants des renseignements personnels dans les bibliothèques, les hôpitaux, les banques, les universités et même les entreprises. Cela inclut des opérations de profilage à partir de certains critères tels la religion, lappartenance ethnique, les lectures dune personne ainsi que les sites Internet quelle visite. Ce qui na pas manqué de faire bondir les représentants de lAmerican Library Association.
Depuis quand le lecteur dun roman policier est-il vu comme un criminel en devenir? En quoi un citoyen qui emprunte quelques ouvrages sur Al-Qaeda, pour sa culture personnelle, est-il un membre potentiel de ce réseau terroriste? Il nexiste aucun lien direct entre les activités intellectuelles dune personne et ses actions.
Les informations sur les usagés sont récupérées dans le plus grand secret et on oblige les établissements visités à la plus stricte confidentialité. Manifester sur la place publique ou encore alerter les médias est fortement déconseillé. Il y a quand même eu quelques fuites. Une recherche dirigée en 2003 par le professeur Leigh S. Estabrook de lUniversité de lIllinois confirme la présence du FBI dans plus de 500 bibliothèques(3). Dans la ville de Santa Fe en Californie, un ancien avocat utilisant un poste Internet a été interrogé durant cinq heures par les autorités. Il participait comme pacifiste à une simple discussion en ligne dans laquelle il accusait le président Bush dêtre devenu incontrôlable. Au nord du Texas, dans deux bibliothèques, on a détruit des ouvrages et modifié certaines données(4). Ce qui fait dire à certains que la véritable menace qui pèse sur les États-Unis nest pas le terrorisme, mais la perte des droits constitutionnels.On a limpression de se retrouver dans les années 1970 alors qu'à l'aide du Library Awareness Program (LAP), le FBI infiltrait clandestinement les bibliothèques du pays afin de contrôler laccès à linformation de ressortissants soviétiques et européens. Une chasse aux sorcières digne du maccarthysme. Ce programme illégal navait pas reçu laval du Congrès et fut aboli à la fin des années 1980. Cest à partir de ce moment, quune grande majorité de bibliothèques ont adopté des politiques de confidentialité beaucoup plus strictes afin de protéger les habitudes de lectures et les intérêts intellectuels de leurs clients. Tout ceci se retrouve maintenant menacé avec le Patriot Act.
De la surveillance sans restriction
Après le scandale du Watergate, le Congrès adopte, en 1978, le Foreign Intelligence Surveillance Act, qui encadre les programmes de surveillance électronique à létranger. Cette loi stipule que toute demande pour placer des individus sous écoute doit faire lobjet dune déposition devant jury. Même pour une procédure dexception, le ministre de la Justice doit jurer sous serment que les communications à surveiller auront lieu entre des puissances ou des organisations étrangères et quelle ne touche pas le citoyen américain.
En 2002, le président Bush a signé un ordre exécutif qui autorise la National Security Agency (NSA) à mettre sous écoute toute personne qui réside aux États-Unis sans contrôle judiciaire. Lordre peut être donné par le ministère de la Justice et il nest pas nécessaire de présenter une quelconque preuve de lien avec le terrorisme. Ainsi, le FBI a pleine autorité pour rassembler une quantité astronomique de renseignements à partir des communications téléphoniques ou numériques qui entrent et sortent du pays.
Ce programme est un abus de pouvoir. Rappelons-nous quil faisait partie des chefs daccusation contre le président Richard Nixon peu de temps avant sa démission. En 1967, la Cour suprême dans le jugement Katz vs United States a indiqué que toute surveillance électronique par le gouvernement est illégale à moins quelle entre dans un nombre restreint dexceptions que lon retrouve dans la loi fédérale(5).Les libertés seffritent
Le président Bush a dit un jour: « Nous ne permettrons pas à notre ennemi de gagner la guerre en changeant notre mode de vie ou en limitant nos libertés ». Cétait une phrase noble, mais qui malheureusement na guère été respectée. Alors que lépineux débat sur la recherche dun équilibre entre liberté et sécurité préoccupe les Américains, des représentants du gouvernement essayent de noyer le poisson en disant que celui qui na rien à cacher na rien à craindre. Tout ceci est de la foutaise!
Les États-Unis se sont construits sur un certain nombre de libertés et il serait inconcevable de relâcher la garde(6). À force dencadrer, de légiférer, de restreindre, de contrôler et de rendre permanentes certaines lois comme le Patriot Act, le gouvernement détruit de lui-même ce que les terroristes cherchent à attaquer.