• L histoire du LSD

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    Aujourd'hui l'Erudit de la FOA va vous entretenir de l'histoire rocambolesque mais non moins véridique d'une drogue pas comme les autres qui a laissé son empreinte dans la pop culture et dans un certain nombre de cervelles pour le pire et le meilleur.

    Découverte et euphorie :

    Tout commence en 1943, à 500 mètres de la frontière française, à Bâle en Suisse. Dans les laboratoires Sandoz (aujourd’hui Novartis), Albert Hoffmann, un chercheur de 36 ans absorbe accidentellement une goutte d’une substance qu’il avait isolée cinq ans auparavant sans en percevoir les applications, le LSD ou Acide Lysergique Diéthylamide tiré d’un champignon ; L’ergot de seigle. Ce même champignon qui au court du moyen-âge provoquait une maladie délirante et mortelle appelée le feu de Saint Antoine. En retournant chez lui à bicyclette, il fut pris trois heures durant, d’une ivresse puissante caractérisée par une stimulation intense de l’imagination. Vingt ans plus tard le LSD deviendra populaire aux Etats-Unis en étant associé à la contre-culture des années soixante pour laquelle les drogues représentaient globalement un puissant levier d’élévation de l’âme dans une perspective qui sciemment ou non, se rapprochait de la religion avec laquelle elle entrait en concurrence. On consommera alors le LSD sur de petits buvards que l’on laisse se imbiber sur la langue.


    La popularisation somme toute fort rapide de cette substance ne peut pas s’expliquer sans le concours involontaire de la CIA. Il est habituel que ce type d’inventions, comme toute sorte d’autres d’ailleurs, soit récupérée et développée par les militaires. Ainsi, les Allemands avaient déjà mis au point le MDMA pendant la guerre de 14-18 pour favoriser la résistance au sommeil de ses combattants. Au lendemain de la seconde guerre mondiale les états major du monde entier ont été convaincus de l’aspect primordial du renseignement dans l’issue de la guerre. La CIA s’est alors mis à la recherche d’un sérum de vérité pour le compte de ses activités d’espionnage alors en plein essor. Au lendemain de la guerre, des laborantins étudient la marijuana et concoctent une première « Truth Drug », un sérum de vérité dont les effets sont décevants car les sjuets ont tendance à fabuler. Dès 1947, les services américains se tournent vers la mescaline, un alcaloïde déjà testé à Dachau par les Nazis, la stupeur qu’elle engendre ne les satisfait pas. Les programmes de recherche sur une drogue capable de détruire la personnalité pour rendre bavard l’homme le plus réservé, qu’ils s’appellent « Blue bird » ou « Articot », se succèdent. On y étudie les dérivés de la cocaïne et de l’héroïne, mais il n’en sort rien de vraiment concluant. En 1951, la CIA découvre le LSD et pense avoir mis la main sur le sérum de vérité. Elle le teste sur des individus et après des premiers résultats concluants, il s’avère que le LSD produit des distorsions de la réalité.

    Un virage à 180° se produit alors. L’acide apparaît alors à certains comme une protection contre les interrogatoires, les agents pouvant en avaler une pastille s’ils tombaient aux mains de l’ennemi et raconteraient n’importe quoi. Les théories se multiplient de façon contradictoire et dans le contexte très particulier de la guerre froide, la paranoïa gagne. Les Américains commencent à redouter que l’ergot de seigle ne prolifère en Russie, que les Soviétiques constituent des stocks et versent du LSD dans l’eau d’une grande ville américaine et ne la transforme en asile de fous. Les recherches se poursuivent donc. Il est rapidement établi que l’hypothèse de l’empoisonnement de masse est sans fondement mais cette crainte aura servi de « starter » à un afflux de crédits toujours plus importants. Les services américains suivent ainsi de près les expériences du docteur Bercell, un psychiatre qui donne du LSD à des araignées et s’aperçoit que les toiles qu’elles tissent sont parfaitement symétriques!

    Les photos ci-dessous illustrent en outre les effets d'autre drogues sur le travail de ces pauvres araignées.

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    Mais trèves de digressions biologiques. La CIA, qui a acheté à Sandoz des kilos d’acide et trouvé sa formule lance de nouveaux chantiers. Dans ce cadre, les agents de l’agence en absorbent eux même. Pour les tests l’argent ne manquait pas et Sidney Gottlieb, à la tête d’un service de 50 personnes baptisé MK ultra, a carte blanche pour trouver des cobayes et se consacrer aux recherches sur le LSD. A l’époque presque tout le monde ignore l’existence d’une telle drogue et la CIA jouit d’une impunité totale (certain esprits chagrins diront que ça n'a pas changé). Le LSD a le statut d’arme classée secret défense, protégée par le National Security Act, un décret fédéral qui prévoit dix ans de prison pour toute personne qui en révélerait l’existence.

    Des expériences inhumaines :

    Ne parvenant pas à trouver assez de cobayes dans les rangs de l’armée, Gottlieb fait appel à ses propres collaborateurs, un comble pour cet homme qui ne boit jamais une goutte d’alcool et deviendra, pour raison d’Etat, l’un des plus grands dealers de l’après guerre. Le 19 novembre 1953, lors d’un cocktail organisé pour son équipe, il a glissé de fortes doses de LSD dans le bac à punch…un carnage. Hunt Olson un biochimiste de 37 ans ne supporte pas les effets du psychotrope et tombe dans un délire paranoïaque qui dure 6 jours et 6 nuits. Il restera terrorisé par le moindre véhicule. La CIA le met au vert et lui trouve un psychiatre de l’agence pour maquiller le diagnostique. Logé dans une chambre d’hôtel de Manhattan, Olson se jette finalement du 13ème étage. La CIA fait passer le drame pour un suicide, l’affaire est close mais en hauts lieux Gottlieb se fait taper sur les doigts, d’autant plus qu’il y a eu d’autres « blessés » à l’issu de ce punch psychédélique.

    Officiellement, les expériences de LSD sur des cobayes innocents sont suspendues. En réalité, Gottlieb qui dirige, au sein du projet MK ultra deux équipes concurrentes, le « Technical service staff » et « Office of security » demande à ses collaborateurs de trouver par tous les moyens des cobayes, quitte à les chercher dans la rue. Hunter White, un ancien agent du narcotics bureau lui propose alors d’équiper de mini caméras un petit appartement New Yorkais dans Greenwich Village, une sorte de pouponnière avec miroirs sans teints à travers lesquels les officiels de l’agence pourraient observer les effets des acides sur des victimes qu’il se chargerait lui-même de draguer. Très vite White se retrouve à la tête de plusieurs observatoires de ce type, il drogue ses victimes et se retire pour observer leur delirium tremens qui peuvent durer plusieurs jours. A la demande du service, l’expérience s’étend à plusieurs maisons closes de San Francisco; White s’arrange pour rendre accro les prostituées et droguer à leur insu une bonne partie des clients. Les caméras tournent et Gottlieb sait maintenant que l’être humain sous LSD à de bien curieuses manières de faire l’amour !

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    Puis c’est l’escalade, les expérimentations sont étendues aux détenus, aux malades mentaux, aux étrangers, et aux minorités ethniques dans des centres d’étude sur la folie. On dealera aussi du LSD à tous les artistes de Greenwich Village qu sera plus tard connu pour être un haut lieu de la Beat Generation. A la fin des années cinquante, les expériences semblent concluantes et l’étendue des applications militaires infinies, la CIA se prend à rêver de coups fumants. A Londres, à Paris, à Berlin, à Stockholm, de jeunes américains choisis parmi les opposants traditionnels de la CIA - intellectuels, gay, communistes sont brûlés au LSD en public. A Montparnasse, à la terrasse du café « Sélect » et en plein jour, Stanley Glickmann, un peintre de 22 ans, bois une chartreuse dans laquelle on a glissé du LSD. Admis à l’hôpital américain de Neuilly, il restera toute sa vie en état de choc neuroleptique. Les soldats américains sont désignés par centaines pour des expériences de plus en plus exigeantes en hommes et en moyens. A Fort Maxellan (Alabama), 200 GI’s se voient administrer de faibles doses de LSD pendant 77 jours! Dans les prisons les tests se multiplient sur les détenus noirs ou politiques. C’est l’euphorie psychédélique… A Montréal, le professeur Evan Cameron, qui travaille pour le compte de la CIA, maintient inconscient pendant des mois un patient avec des doses quotidiennes de LSD et des électrodes qui, placées sur son cerveau, provoquent des chocs électro-compulsifs. La plus délirante de toutes les expérimentations reste l’opération « Derby Hart », une mission spéciale destinée à plomber Fidel Castro. Administré quelques minutes avant un discours à la radio le LSD devait déstabiliser le régime cubain en faisant dérailler son leader en direct. Peine perdue, l’opération est déjouée et les survivants du LSD commencent peu à peu à parler…


    Effets indésirables:

    En 1963, suite aux exactions du projet MK ultra, Sidney Gottlieb et son second Richard Hemmes, sont progressivement écartés des activités de l’agence. Les plaintes judiciaires se multiplient et les familles de victimes, celle de Hunt Olson en tête, tentent en vain d’alerter les médias. Officiellement supprimées, les expériences sur le LSD glissent en sous main et avec la bénédiction du président Nixon vers l’« addiction research center » et le « Law enforcement assistant administration ». Les expériences se poursuivront pendant des années notamment au Viêt-Nam avant que Sidney Gottlieb et son équipe ne se voient retirer leurs budgets pour absence de résultats et incompétence. Il faudra attendre 77 pour qu’une sous commission dirigée par Ted KennedyLSD. La plupart des fichiers du Mk ultra avaient cependant été détruits en 73. Le seul aveu de Gottlieb porte sur l’existence du MK ultra et une douzaine d’expériences sur cobayes non consentants.
    ouvre une enquête sur les expériences inhumaines menées par la CIA en matière de

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    Entre temps, dans les années soixantes l’expérimentation du LSD s’est démocratisée et a fortement influencé les arts et en particulier la musique. L’année 67 est celle de la marée LSD dont les Stones et les Beatles eux même se font les chantres avec Lucy in the Sky with Diamonds. Avant même que de grands groupes ne développent leurs expériences psychédéliques au travers d’instrumentations de plus en plus grandioses (Le « Soft Machine » de Robert Wyatt en est un bon exemple), de nombreux groupes de musiciens souvent très jeunes ont tenté de retranscrire les sensations psychédéliques avec les outils plus simples et plus accessibles du rock. Ce style appelé « garage psychédélique », a fait florès dans la seconde moitié des années soixante avant de disparaître avec ses innombrables martyrs. Son plus emblématique représentant reste le Pink Floyd de Syd Barrett, mais des formations aussi essentielles que les Doors et surtout le Velvet Underground ont une filiation directe avec ce mouvement de fond partis des Etats Unis. Les musiques noires n’ont pas plus échappé aux influences du LSD même si celles-ci ne sont pas aussi directement à l’origine du mouvement free-jazz de la fin des années soixante. Les années soixante-dix vont même voir apparaître un Psychédélique Funk (P-Funk) avec à sa tête, le groupe Funkadelic de George Clinton.

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    Coté littérature, le psychédélisme a été défini par celui qui restera son pape, Timothy Leary, un universitaire auteur en 64 du livre culte « The psychedelic expérience », cet activiste qualifiera plus tard les Beatles « d’agents révolutionnaires envoyés par Dieu », cette phrase est significative d’une époque où le ferment contestataire à permis de donner aux drogues un statut tout à fait particulier quoique pas si éloigné de l’usage religieux qu’en ont fait toutes les sociétés primitives (idée théorisée en France par Louis Pauwels futur directeur du Figaro Magazine!). Les arts graphiques sont également affectés. Une exposition baptisée « The art of acid » se tient à San Diego, on y a notamment vu pour la première fois un timbre géant de Robert Burroughs à l’effigie d’Albert Hoffmann, l’inventeur du LSD. La pièce est actuellement au musée de New York. Dans le cinéma cela donne des films comme « Easy rider » de Denis Hopper ou « More, more ! » de Barbet Schröder, deux films sortis en 69, à un moment où l’utopie d’un monde sauvé par les hallucinogènes a pris du plomb dans l’aile. Dans ces deux films les héros meurent à la fin d’un trip sans retour. Cette propagation s’explique mieux lorsqu’on sait que ce n’est qu’en 68 que le LSD fut interdit aux Etats Unis, des gens comme Timothy Leary en donnaient jusqu’alors à leurs étudiants… Au fur et à mesure que le LSD s’est popularisé, il a également suscité des réprobations et la vague acide va céder la place à d’autres drogues comme la cocaïne à partir de la fin des années 70 et ses influences artistiques vont décroître avec des mouvements comme le Punk qui au niveau des formes, se définis en réactions face aux dérives des musiques psychédéliques et progressives.


    Aujourd’hui, près de cinquante ans après les faits et quelques livres comme celui du journaliste John Marx, le gouvernement n’a toujours pas reconnu son rôle dans les expérimentations sur le LSD en dépit de l’instigation de commissions sénatoriales et d’actions en justices qui ont mis en lumière tout un faisceau de présomptions. Sidney Gottlieb quant à lui, refuse tout commentaires sur cette période et s’est retiré dans un monastère zen...


    Affiche du festival de Monterey qui s'est tenu en 1967 au sur de San Francisco, a marqué l'apogée de l'influence du LSD sur la nouvelle culture mondiale en pleine éclosion. Un seul coup d'oeil suffit pour s'en convaincre.