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Lélite de lEmpire Skull and bones
Skull and Bones, lélite de lEmpire
Au sein de la très élitiste et puritaine université de Yale sont co-optés chaque année quinze fils de très bonne famille. Ils forment une société secrète aux rituels morbides : les Skull and Bones (Crâne et os). Tout au long de leur vie, ils se soutiennent et sentraident face aux velléités démocratiques dune plèbe quils abhorrent. Les deux candidats à la dernière élection présidentielle, George W. Bush et John Kerry, loin dêtre des adversaires, sy côtoyaient en secret depuis trente-six ans. Alexandra Robbins a consacré aux Booners une enquête qui fait référence. Son livre est maintenant disponible en français.[ Lassociation des Skull & Bones nourrit une importante littérature conspirationniste, qui rend responsable ses membres du scandale du Watergate, de linvasion de la Baie des Cochons ou encore de lassassinat de John F. Kennedy. Par ses connexions avec le milieu des affaires, notamment le secteur bancaire, ces anciens potaches de luniversité de Yale contrôleraient la finance mondiale, voire lavenir de la planète. Les Skull & Bones auraient dailleurs noyauté le Council on Foreign Relations, la Commission Trilatérale, la CIA, etc.
Il nest pas question de discuter dans Voltaire, une publication laïque, de lésotérisme pratiqué au sein de cette organisation au cours des rites dinitiation, ou des cérémonies annuelles, mais danalyser sa fonction sociale et son éventuel rôle politique. Les Skull & Bones illustrent surtout comment, aux États-Unis, sest perfectionné un système de reproduction des élites par le biais dune sélection qui, contrairement au mythe du self-made man, ne doit rien au hasard ou aux qualités individuelles. En effet, comme le souligne Anthony Sutton, les membres les plus actifs de lorganisation viennent dun « noyau denviron 20 à 30 familles », attachées à la défense de leur héritage et de leur lignée. Il existe ainsi de nombreux mariages entre des représentants des familles membres des Skull & Bones, bien que seuls les étudiants mâles aient pu, jusquà une date récente, adhérer à lorganisation.
Yale, une université puritaine et élitiste
Les Skull & Bones sont nés sur le campus de luniversité de Yale. Un choix qui, selon la remarquable enquête de la journaliste de l Atlantic Monthly, Alexandra Robbins, ne doit rien au hasard [1].
Au début du XVIIIe siècle, lensemble des universités états-uniennes, quil sagisse dHarvard, Dartmouth, Williams, Bowdoin, Middlebury ou encore Amherst, ont été fondées par des Congrégationnalistes. Mais ils subissent alors la concurrence des Presbytériens, ce qui incite le président dHarvard, Increase Mather, à agir. En 1701, il quitte son poste et créée une nouvelle université, « afin que lIntérêt de la Religion soit préservé, et que la Vérité soit transmise aux générations futures ». Avec laide de dix pasteurs, dont neuf viennent dHarvard, il parvient ainsi à fonder le Collegiate School of Connecticut. En 1711, Isaac Newton, Richard Steel et Elihu Yale sont approchés pour transmettre des livres de leur collection personnelle à la jeune institution. Les contacts avec Yale, devenu extrêmement riche grâce à ses activités au sein de la Compagnie des Indes orientales et en tant que gouverneur de la colonie de Madras, sont particulièrement fructueux. Non content de fournir des livres, il finance également largement luniversité, qui lui rend hommage en prenant son nom, à partir de 1720, Yale University.
Les liens avec le congrégationnalisme garantissent le puritanisme de lenseignement et du mode de fonctionnement de Yale. Les étudiants et professeurs doivent prononcer une profession de foi à leur entrée dans létablissement, et peuvent être renvoyés si leur sincérité est sérieusement mise en doute. À ce puritanisme sajoute un élitisme forcené : les étudiants sont classés, dès leur arrivée à Yale, non pas en fonction de leurs capacités, mais de la position sociale de leurs parents. En tête de classe, les fils ou petit-fils de gouverneurs, de vice-gouverneurs. Puis viennent les membres des familles de juges de la Cour suprême. Un plus bas dans le classement, on trouve les fils de pasteurs et danciens élèves. En queue de peloton, les fils de fermiers, de marchands et dartisans. Ce classement décide de la place attribuée à chaque élève dans les salles de classe, à la chapelle et à la cantine. Le plus étonnant, note Alexandra Robbins, nest pas que ce classement dentrée dépende du statut social de la famille de lélève, chose courante dans beaucoup duniversités au XVIIIe siècle, mais plutôt quil névolue pas avec la scolarité. Ainsi Yale devient lexemple idéal-typique dune institution reproduisant les élites et leur hiérarchie interne. Le déclassement est en général occasionné par un manquement disciplinaire, et sanctionne le fait que lélève a ainsi entaché lhonneur de sa famille.
Il faut ajouter à ce mode de fonctionnement peu banal la licence explicitement donnée aux élèves plus âgés de bizuter, voire de brimer et dhumilier les étudiants des classes inférieures. Le règlement prévoit une série de mesures visant à assurer le respect de la hiérarchie la plus arbitraire, fondée uniquement sur lâge. Lyman Bagg a raconté dans un ouvrage, Quatre ans à Yale, paru anonymement en 1871, comment il analysait les mécanismes mis en place par linstitution. Ces pratiques autorisées reflètent selon lui le « pouvoir énorme des "coutumes" de lécole dans la création dune folie temporaire qui fait des hommes faibles des êtres cruels et des hommes bons des êtres sans pitié »
Cette propension à lélitisme, à la hiérarchie brutale et au puritanisme incite les élèves, à la fin du XVIIIe siècle, à monter plusieurs sociétés parallèles à luniversité. Il sagit au départ dassociations littéraires, telles que Linonia et Brothers in Unity. Lensemble des élèves est appelé à adhérer à lune ou lautre des organisations. Ce qui nest pas assez élitiste pour ceux qui souhaitent une stricte reproduction de la nouvelle « aristocratie » états-unienne. En 1780 la branche Alpha de lorganisation Phi Betta Kappa est fondée à Yale. Plusieurs autres sociétés fleurissent à lépoque : la Beethoven Society, lHexahedron Club... Petit à petit, les salons littéraires perdent de leur importance, remplacés par des sociétés secrètes, plus élitistes et plus fermées. Au milieu du XIXe siècle, on en dénombre trois principales : les Skull and Bones (Crâne et os), les Scroll and Key (Parchemin et clé) et Wolfs Head (Tête de loup).
Parallèlement, le corps enseignant de Yale décide de suivre le mouvement. Six ans après la création de Skull & Bones, six membres de lélite enseignante de luniversité se réunissent au sein du « Club », bientôt appelé le « Old Mans Club ». Parmi ses six membres fondateurs, on trouve les professeurs Josiah Willard Gibbs et Theodore Dwight Woolsey. Bientôt, lorganisation comptera dans ses rangs William Howard Taft, le futur chief justice du Connecticut Simeon E. Baldwin, luniversitaire Thomas Bergin, le neurochirurgien Harvey Cushing, et le fondateur des Skull & Bones, William H. Russell. Seuls Thomas Bergin et Harvey Cushing ne deviendront pas, par ailleurs membre des Skull & Bones.
Histoire des Skull and Bones I
envoyé par LeLibrePenseurLa guerre de lopium
Luniversité de Yale était un terreau particulièrement fertile pour quy prospère une société secrète aussi élitiste et influente que les Skull & Bones. Mais le succès de cette organisation secrète doit aussi beaucoup à la personnalité de son fondateur, William H. Russell. Celui-ci appartient à la grande famille Russell, dont lun des membres, le révérend Noadah Russell, membre éminent de lÉglise congrétionnaliste, a participé à la création de Yale. La famille Russell sest également impliquée dans la grande guerre de lopium qui oppose le Royaume-Uni à la Chine dans la première moitié du XIXe siècle.
À la fin du XVIIIe siècle, lopium cultivé au Bengale avec la bénédiction de lAngleterre est soumis à un monopole dexploitation confié à la Compagnie des Indes orientales, une société qui dépend directement de la Couronne et à laquelle Elihu Yale a participé par le passé. La guerre de lopium, qui commence vers 1815, vise à introduire de force cette drogue sur lénorme marché chinois. De 320 tonnes annuelles en 1792, la contrebande dopium atteint 480 tonnes en 1817, puis 3200 tonnes en 1837. La Chine demande alors à la reine Victoria de faire cesser le trafic. La souveraine fait savoir que les revenus ainsi engrangés par le Royaume-Uni sont trop importants pour quelle décide dy renoncer. La tension monte entre Pékin et Londres : en février 1839, un trafiquant chinois est exécuté devant les représentations cantonaises des commerçants britanniques. En juin 1839, la Couronne accepte de détruire dimportantes cargaisons dopium. De nombreux Anglais quittent alors Canton et Macao pour relancer le trafic dun peu plus loin, sous la protection officielle de la marine britannique. Dans ces conditions, lincident est inévitable : le 4 septembre, cest la première bataille navale de la guerre de lopium, qui aboutit à la destruction de nombreux navires chinois. Ces affrontements révèlent « la faiblesse des jonques de guerre chinoise et la sanglante détermination des protestants anglais pour que soient victorieux les principes du libéralisme fondé sur le trafic de lopium » [2].
Samuel Russell, cousin de William Russell, est un important protagoniste de la guerre de lopium. De nationalité états-unienne, il est le fondateur de la Russell & Company en 1813, qui va concurrencer, dans les années 1820, la domination britannique sur le trafic de drogue en direction de la Chine. Lun des membres éminents de la société était Warren Delano, Jr, le grand-père de Franklin Delano Roosevelt.
Du club Eulogie aux Skull and Bones
Cest dans ce contexte que William Russell crée les Skull & Bones, en 1832. Il est difficile détablir avec précision dans quelles circonstances. Il sagirait, au départ, dune réaction à lexclusion dun membre des Phi Beta Kappa, Eleazar Kingsbury Forster. Indigné par le procédé, et souhaitant redonner sa vitalité à Yale, William Russell aurait condamné Phi Betta Kapa, pris Forster sous son aile et fondé, avec treize autres étudiants de Yale (dont Alfonso Taft [3]), une société encore plus secrète et encore plus forte, originellement intitulée le Club Eulogie, du nom de la déesse grecque de léloquence. Sous linfluence dun récent voyage en Allemagne, Russell importe bon nombre de références germanques dans le rituel. En 1833, les jeunes membres adoptent la tête de mort et les ossements comme emblème. À la même époque, le chiffre 322 devient le « chiffre clé » de lorganisation. Cest en effet en 322 avant JC quest mort lorateur grec Démosthène. Selon la « tradition Skull and Bones », la déesse Eulogie aurait alors rejoint le paradis, avant de redescendre en 1832 et de rejoindre la société secrète.
En 1856, les Skull and Bones sont officiellement incorporés au sein du Russell Trust, propriété de William H. Russell, grâce à Daniel Coit Gilman (Bones 1852), président fondateur de lUniversité John Hopkins. Le 13 mars de la même année, lorganisation déménage son quartier général au sein dun bâtiment impressionnant sur le campus de Yale, pompeusement baptisé « la Tombe ». Lendroit est rapidement submergé de reliques guerrières et morbides : on y trouve, daprès les témoignages de membres recueillis par Alexandra Robbins, une accumulation de drapeaux, de tentures noires, darmes recueillies sur les champs de bataille. Pour ne pas oublier quil sagit dune confrérie détudiants, une série de balles de baseball provenant des rencontres mythiques remportées par Yale est exposée dans une pièce. Le logo de la tête de mort est apposée quasiment sur tous les endroits vierges, tandis que des ossements de carcasses animales sont accrochées à divers murs. Quelques squelettes et ossements humains sont également exposés. La plupart des tableaux présents dans lenceinte représentent la Mort rencontrant tel ou tel personnage célèbre. Une atmosphère proche de lunivers de la famille Adams selon Marina Moscovici, conservateur dart du Connecticut qui a travaillé à la restauration dune quinzaine de tableaux en 1999.
Une polémique a éclaté au début des années 1980 autour du crâne de Géronimo, que les Skull & Bones prétendaient détenir. Ils le montrèrent même à un chef de tribu apache dArizona, Ned Anderson. Alors quon leur en demandait la restitution, les membres de lorganisation présentèrent un crâne différent de celui montré précédemment, et dont lanalyse révéla quil sagissait de celui dun enfant de dix ans, et non de celui du chef indien. Lauthenticité de la relique, qui a depuis regagné « la Tombe », reste donc discutable.
Quartier général des Skull & Bones, situé sur le campus de luniversité de Yale et baptisé « la Tombe ».Le fonctionnement de lorganisation est aujourdhui mieux connu. Quinze membres sont recrutés chaque année, ce qui permet destimer à environ 800 le nombre de membres vivants de lorganisation à nimporte quelle date donnée. Encadrés par des membres plus anciens, les quinze nouveaux impétrants se réunissent deux fois par semaine pendant un an, pour discuter à la fois de leur vie, de leurs études ou de leurs projets professionnels. Des débats sur des questions politiques et sociales ont également lieu. Une fois par an, la société organise une retraite à Deer Iland, une vaste île située dans le fleuve Saint-Laurent, près de New York, où a été construit un club cossu à langlaise. Il sagit bien de Deer Iland et non de Deer Island, conformément à la volonté de George D. Miller, membre des Skull & Bones et généreux donateur de la résidence [4].
Le rituel dinitiation a fait lobjet des interprétations les plus folles de la part des détracteurs de lorganisation. Pourtant, comme le rituel maçonnique, cest essentiellement le secret qui lentoure qui en est lélément le plus déterminant. Et sil est possible que les cérémonies se déroulant au sein de « la Tombe » aient eu, un temps, des conotations paganistes, voire satanistes, il faut également rappeler que le bizutage des nouveaux élèves de Yale était, par le passé, particulièrement cruel. Cependant, il est improbable quon demande aujourdhui aux étudiants sélectionnés pour entrer dans lorganisation de se prêter à des jeux sexuels morbides devant lensemble des autres initiés.
Le réseau
Le plus fascinant nest pas ce qui se passe au sein de lorganisation, mais plutôt la cohérence de sa liste de membres, qui révèle le talent des membres de Skull and Bones pour constituer les élites de demain. Ainsi, tout président des États-Unis passé par Yale a été membre des Skull & Bones : il sagit de William Howard Taft, de George H.W. Bush et de George W. Bush. De même on ne compte plus les personnalités membres de lorganisation qui ont occupé, par la suite, dimportantes fonctions dans le monde politique, diplomatique, médiatique, ou même du renseignement.
Lorganisation dispose dimportantes connexions dans le milieu diplomatique, et notamment au sein du Council on Foreign Relations. Ainsi, Henry Stimson, secrétaire à la Guerre de Franklin Delano Roosevelt, lambassadeur des États-Unis en Union soviétique, Averell Harriman, ou J. Richardson Dilworth, gestionnaire des intérêts de la famille Rockefeller, étaient membres des Skull and Bones [5].
Des membres de Skull & Bones ont également joué un certain rôle dans lunivers des médias. Henry Luce et Briton Haden, tous deux membres de lorganisation depuis 1920, auraient notamment eu lidée de créer le journal Time lors dune réunion à « la Tombe ». Averell Harriman, de son côté, a fondé le journal Today qui fusionna en 1937 avec une autre revue pour devenir Newsweek.
Les connexions au sein de la CIA sont particulièrement impressionnantes : William F. Buckey, membre ultra-conservateur de lAgence et propagandiste réputé, a été membre de lassociation, tout comme son frère, James Buckley, sous-secrétaire dÉtat à la Sécurité, aux sciences et aux technologies, dans le gouvernement de Ronald Reagan, un poste où il supervisait loctroi de laide militaire états-unienne à destination des régimes de droite. Hugh Cunningham (Bones 1934) a lui aussi accompli une longue carrière dans les services états-uniens, de 1947 à 1973. Cest également le cas de William Bundy, Bonesman de la promotion 1939, et de Dino Pionzio (Bones 1950), chef de station de la CIA à Santiago en 1970, où il semploya à déstabiliser le régime de Salvador Allende.
Le fait que lorganisation serve de moyen de reproduction à lélite économique et politique du pays lui a assuré une bienveillance inhabituelle des autorités. Ainsi, en 1943, un acte législatif spécial adopté par lÉtat du Connecticut a exempté les associés du Russell Trust Association, qui gère, entre autres, les avoirs de la société secrète, de remplir un rapport dactivité comme nimporte quelle autre société. Dans la deuxième moitié du XXe siècle, ses avoirs ont été gérés par John B. Madden Jr, membre de Brown Brothers Harriman, une société née de la fusion, en 1933, de Brown Bros & Company et de W.A. Harriman & Company. Madden travaillait alors sous les ordres de Prescott Bush, père du futur président George H.W. Bush et grand-père de lactuel président des États-Unis. Tous ces personnages sont naturellement membres des Skull & Bones.
Autre source de fonds : les Rockefeller. Percy Rockefeller fut membre de lOrdre, et lia lorganisation aux propriétés de la Standard Oil. Autre grande famille rattachée aux Skull & Bones : les Morgan. J.P. Morgan ne fut certes jamais membre, mais Harold Stanley, membre de léquipe dirigeante du Morgans Guaranty Trust, appartint à lorganisation depuis 1908. W. Averell Harriman, de la promotion 1913, a également été membre du conseil dadministration, tout comme H.P. Whitney et son père, W.C. Whitney. Cest également de manière indirecte que lorganisation a pu profiter des fonds de la famille Ford, apparemment contre lavis de celle-ci. McGeorge Bundy, membre des Skull & Bones, fut en effet président de la Fondation Ford de 1966 à 1979, après avoir servi de conseiller pour la sécurité nationale sous John F. Kennedy et Lyndon Johnson.
Présidentielle 2004 : le face-à-face Skull and Bones
Les Skull & Bones nont pas véritablement de discours idéologique. Encore quil ne soit pas anodin de révérer un financier de la guerre de lopium et dutiliser comme objet rituel le crâne présumé du dernier chef dun peuple que lon vient dexterminer. Contrairement à ce que la littérature conspirationniste a pu évoquer, il ne sagit pas dun club de néo-nazis, dultra-conservateurs, ni même de faucons. Néanmoins, en tant que représentant de lélite future (ce qui nécessite déjà dappartenir à la classe sociale disposant des capitaux socio-culturels suffisants pour réussir dans les différents champs de pouvoir), les membres des Skull & Bones partagent une même vision du monde et des rapports sociaux. Tous sont des capitalistes partisans dun pseudo-libéralisme et attachés aux valeurs de Liberté prétendument incarnées par les États-Unis. Bien que récemment gagnées par les sirènes du « politiquement correct », en admettant progressivement des représentants des minorités ethniques et sexuelles, puis des femmes en 1991 - à la consternation, entre autres, de lancien président George H.W. Bush - les élites réunies au sein des Skull & Bones nen demeurent pas moins lincarnation quasi-parfaite de la pensée unique de la classe dirigeante états-unienne.
Le fait que les deux principaux candidats à la présidence des États-Unis en 2004, George W. Bush et John Kerry, soient membres de lorganisation, ne peut être interprété comme la manifestation dune élection arrangée à lavance entre deux personnalités de connivence. En revanche, on peut légitimement sinquiéter de la manière dont sétablit la sélection au sein du champ politique états-unien. Car si les deux hommes peuvent saffronter durement, il est indubitable quils appartiennent lun et lautre à un milieu social étroit et homogène et que, à ce titre, ils défendent, malgré leurs divergences, des intérêts proches. Dune certaine manière, pour paraphraser un politicien français, lélection présidentielle de 2004 ce sera « Skull and Bones ou Bones and Skull ». Cest dailleurs pour cette raison que lOrdre focalise sur lui autant dattention : il incarne la quintessence du milieu social le plus favorisé des États-Unis, et dont les vues sont loin de représenter lidéal démocratique auquel aspire le reste de la population. Individuellement, de nombreux membres de lorganisation ont trempé dans la plupart des « coups tordus » des États-Unis des cinquante dernières années, de linvasion de la Baie des Cochons à lélaboration de la doctrine nucléaire, en passant par le renversement de Salvador Allende. Et ils nont pu le faire quen dehors des institutions démocratiques, dans le secret de leur connivence et sur la base dune fraternité ancienne. Pourtant, aucune décision de ce type na jamais été prise au sein de lassociation des Skull & Bones elle-même. Ce nest pas une structure hiérarchisée, apte à prendre de telles décisions et à les faire appliquer. Quoi quil en soit, lOrdre secret reste la façade la plus immédiatement visible de l« ennemi de classe » que représente l« aristocratie impériale » des États-Unis.